


Depuis longtemps, elle voulait sauter, s'entrainait et voilà qu'elle saute seule, une marche d'escalier, le bas de la porte de notre maison. Elle saute. D'une marche au trottoir, d'une excuse à l'autre pour éviter de s'endormir. Et l'heure passe.
Elle aime changer de lit, s'endort parfois à côté de celui que nous lui avons choisi, souvent tardivement, appelle parfois pour dire "je peux lire ? Le sommeil ne vient pas". Et le matin elle reprend son appel pour déclarer cette fois "maman, c'est trop difficile de me réveiller", la tête enfouie dans son oreiller, suçant son pouce. Et parfois à la table du petit-déjeuner d'ajouter les yeux mi-clos « c'était très très difficile de me réveiller ».
Elle s'est rarement levée tôt et, cette fois, depuis qu'est arrivée l'heure d'été, son papa la réveille souvent le matin pour essayer d'être à l'heure à l'école. Avant on ne s'en souciait pas, cet enfant a pu dormir. Et si elle "tombe de son lit", elle sait se glisser dans le nôtre, doucement et attendre que l'un de nous se lève.
Attendre n'a jamais vraiment été un problème. Elle est plutôt du côté de ceux qui ont le temps, elle raconte des histoires, celles qui lui arrivent celles de ses doudous, poupées, nounours. S'en racontent aussi au passé, présent, futur, accompagnant les moments de jeu solitaire avec sollicitude. Elle réfléchit, se corrige, "il pleut, tout à l'heure, ce matin il a pluie, non pleut, non plu". Elle essaie, du côté de la langue, elle essaie. Sur d'autres projets, elle dit plutôt « je ne sais pas encore » et demande de l'aide, comme tout à l'heure ou elle déclarait "ce sera plus facile si tu venais m'aider".
L'heure des
pourquoi ? a sonné et l'on voudrait toujours être à la hauteur des ses trois années qui interrogent le cours de la vie. "Il est mort alors il va pourrir ?". Dans ce pays du Nord où elle aimerait vivre les bras tous nus chaque jour, elle regarde l'orage "C'est lui qui gronde et pourquoi?". Elle s'inquiète du bébé de notre amie enceinte, "Mais il est où ? Dans son ventre. Ah encore ?" Regarde des photos de moi "Mais moi je suis où dans ton ventre ?" La magie de la vie s'exerce. Elle s'interroge sur le soleil qui tape, frappe sur son bras pour s'assurer d'avoir bien compris.
Elle dit "attend, écoute-moi" avec son doigt pointé, elle dit aussi avec ce même doigt mais cette fois sur l'oreille "t'entends ? Et pourquoi l'oiseau chante ?". Elle s'est éprise du marchand de glace qui passe quasi chaque soir dans la rue, "maman, maman t'entend, c'est le marchand de glace" et interpelle à nouveau quand il s'en va, "qu'est-ce qu'il dit là ?", elle se prend au jeu de supposer.
Elle sait que les loups mangent les enfants, que les mouches piquent.
Elle aimerait aussi écrire et se lance sans hésiter dans des dessins de mots. Je collectionne ses messages d'écriture, qui disent tantôt " à bientôt", tantôt " à tout l'heure" ou "maman bleue". Hier soir pour la 1re fois son papa en a reçu un qui lui disait "au revoir à demain" parce qu'il rentrait tard et qu'elle ne pouvait lui donner de bisous pour la nuit.
Elle aime glisser les lettres dans les boîtes de La Poste, s'émerveille des missives qui lui sont adressées sans trop y croire. Elle cherche de plus en plus à préciser ses phrases, parle de l'école et on se sent chanceux d'avoir une petite fille qui raconte ses moments qui lui appartiennent.
Sa mémoire nous émeut, laisse entendre des expressions touchantes : "ça fait longtemps qu'on l'a pas vu", "Elle est où ma bouée jaune ?". La bouée des vacances passées à peine vue, dont on se disait qu'elle oublierait vite l'existence dont on a même pas une photo et qui pourtant revient.
Elle fait de beaux bisous, doux, sourit et s'inquiète de savoir comment je les trouve.
Elle aimerait que son amie C. la baby site et comme ce n'est pas possible s'inquiète un peu de qui va venir la garder. Renouvelle la tentative le lendemain "C'est C. qui va venir ?". Il n'y a d'ailleurs que les filles qui sont ses copines parce que les garçons ne peuvent pas "Les garçons, c'est des copains". Comment avait-on pu oublier ? Un univers se dessine, empli de fille et des parades qui vont ensemble.
Elle aime les chaussures rouges comme celles de sa maman "t'as vu ? On a les mêmes", la couleur bleue, les motifs sur ses t-shirts, ceux qui laissent les bras tous nus, ne veut plus mettre de robe mais adore les chapeaux et l'écharpe verte crochetée. Elle aime choisir ses habits sans pour autant se soucier du temps, elle ne comprend pas qu'en hiver dans cette ville du Nord il faut se couvrir les bras et le reste du corps. Elle mange peu, grappille plutôt et pourtant perd peu ses rondeurs de bébé, elle entre aussi dans l'âge où le contenu de son assiette doit rester immuable. Elle dit ne pas aimer les légumes mais raffole des burgers au épinard et parfois j'hésite à la contredire bien contente que ce légume passe malgré l'aversion déclarée.
Le canapé est propice aux jeux d'acrobaties qu'elle affectionne. On l'y retrouve aussi, assise, entrain de lire ou d'écouter de la musique. Elle aime Miles Davis, Iva Bittova, Chante Fleur,
Thierry,
Baboab (comptines et berceuses d'Afrique), reconnait Jean-Michel Jarre, la trompette de Boris Vian, les tambours, l'accordéon et l'oud d'
Anouar Brahem. Elle invente aussi ses propres comptines qui laissent entendre sa vie. J'écoute avec curiosité ces délices de vie.